Graffitis, pochoirs, stickers, collages et amalgame vandale/artistique. Un cran au dessus de l’air du temps, le street art, phénomène de contre culture, incontestable marqueur de pensées, de contestations sociales et de stigmates, dépeint les soubresauts d’une société tiraillée entre amour et haine, violence et paix, sur les murs des cités du monde et ce depuis son émergence dans les 70s à New-York avec la culture punk , le breakdance et les premières bombes aérosols. Aujourd’hui moins revendicatif, autrefois porteur de messages forts, il est l’inexorable bouc émissaire d’un sentiment d’insécurité en escalade, maladroitement associé à l’impétuosité de la jeunesse, et surtout encore trop souvent étiqueté « vandalisme » et « insulte à l’art » par une France nourrit au pinceau de la Renaissance.
La fin des 90s marqua en effet l’avénement du graffiti dit de rébellion d’une adolescence désintéressée dégradant le bien public mais les années 2000, internet et son « home office » , davantage en rupture, témoignent d’une vague de nouveaux artistes, tractés par l’audace de Bansky, une génération imprégnée des codes du graffiti, transposant son esthétique dans leurs travaux, des street artistes sur le tard, professionnels car devenus de vrais experts du marketing viral (Mr Brainwash). On ne cherche plu à contrarier mais à séduire. Le mouvement graffiti et street art font chambre commune mais lit à part. La différence est idéologique.
Symbole d’une gentrification
Perçu comme art à part entière et culture distincte à New-York son berceau, aussi à Berlin qui dans un élan post guerre froide a du redonné gaieté aux briques du mur de la honte , ou encore à Londres, terrain de jeu du planétaire Banksy et du pionnier Nick Walter, le street art se répand de manière pandémique depuis des années même loin de ses bases comme à Buenos Aires, autorisant désormais le tag avec accord en amont du propriétaire , Sao Paulo et ses seins siliconés qui s’en donne à coeur joie quand il s’agit de maquiller cette fois ses façades, Gaza, empêtré dans un conflit sanglant sans fin attirant les peintres de rue du monde entier , Melbourne et ses murs numérotés que les taggeurs peuvent réserver et peindre à leur convenance ou encore Hong-Kong où les shops par le biais d’un système de mécénat (corporate sponsoring) recrutent des graffeurs, où même les inscriptions vandales en caractères chinois sont esthétiques , toutes ces villes ont adopté la peinture de rue sans sourciller, sans préjugés, floquant leurs immeubles d’originalité, de vie haute en couleurs. Les musées et galeries sont accros. Symbole d’une gentrification, et d’une reconnaissance de l’ art urbain à son apogée.
La France a du retard sauf Paris
A croire que dans l’hexagone le stéréotype fait de la résistance. Chaque chose a sa fonction et son emplacement sans peu d’ évolution possible… Les non intégrés en banlieues, les mauvais élèves au fond de la classe, les délinquants gribouillant les immeubles , l’art au musée! Par ailleurs les lois d’ urbanisme et de propriété sont engluées dans un conservatisme mural immuable, au code désuet même si au delà du fait que 98% des immeubles restent vierges et moribonds, des efforts en la matière sont notables.
JP, l’activiste urbain collant ses clichés dans les Favelas , Shepard Fairey (OBEY), créateur du poster HOPE d’Obama , ou Invader et ses aliens pixelisés tirés du jeu vidéo Space Invaders, tant d’artistes de renom et bien d’autres, habillant de leur art des pans de villes du globe, qui ont posé dans un Paris qui n’a pas bronché , affirmant même depuis ses velléités de tolérance et n’ayant plus grand chose à envier à d’autres capitales porte drapeaux de l’art urbain. Seul ombre dans l’éclaircie, le caractère souvent éphémère de ces représentations et artworks voués à disparaitre.
La tour 13 sur les quais de la scène en est l’exemple flagrant, considérée comme la Chapelle Sixtine du street art, démolie en 2013 après une ultime exposition temporaire où une centaine d’artistes se sont unis pour y refaçonner les appartements à l’abandon. La création destructrice, en comble de l’art… La France hormis Paris, a du retard. La répression du vandalisme y est si intense qu’elle ne fait aucun distinguo artistique. Preuve que le street art doit encore combattre pour espérer un jour graver ses lettres de noblesses de façon indélébile sur les bancs publiques. Une genèse étrangement parallèle à celle du tatouage.
Réconcilier l’art conventionnel avec celui de la rue
Alors pourquoi camper sur ses positions de politique des « murs blancs » alors que les moeurs grappillent de l’ouverture d’esprit. Un projet participatif en forme de juge de paix semble être en mesure de réconcilier l’art conventionnel avec celui de la rue. Son nom Outings project.
L’idée est maligne, redonner une seconde jeunesse à des toiles de musée dites de second plan car peu célèbres aux yeux du grand public rivés plutôt sur les blockbusters, en les placardant aux murs des villes. Attention, on ne parle pas d’apologie du vol d’oeuvres d’art à l’instar de Sean Connery dans Haute Voltige mais de création individuelle à portée de smartphone. En résumé, il s’agit d’écumer en long et en large un musé, photographier une figure d’un tableau inconnu, se ruer chez l’ imprimeur avant de la découper de son paysage . Dernière étape : Coller le cliché au coin d’une rue.
Derrière cette initiative se cache Julian Casablancas, homonyme du leader des Strokes, un artiste, auteur et réalisateur français inscrivant son concept dans la logique » à ses risques et périls » du street art. Pas totalement légal, à teneur artistique mais pas criminelle pour autant. Il a tenu a rassurer les Inrocks par rapport au droit d’auteur qui pourrait ostensiblement lui faire obstacle et à l’éternel analogie entre art de rue et vandalisme : » La plupart des œuvres sont suffisamment anciennes pour qu’elles soient dans le domaine public, nous ne sommes pas dans une opération commerciale. Et c’est quasiment fini le fait de ne plus avoir le droit de prendre de photos. Au Louvre par exemple, ils laissent faire. Ils passaient trop de temps à s’occuper de ça, c’était du délire. Puis le propriétaire en souliers vernis, foulard Hermès qui débarque lorsqu’on est en train de coller, il y a une chose qui entre en conflit avec son intérêt : ce qu’il a devant lui, il le trouve beau. Et de toute façon on ne s’oppose pas à ceux qui veulent garder leurs murs blancs, ils font ce qu’il veulent. On a plutôt un vocabulaire street art puisqu’on va se coller là où il y a du graff, du délabré, du vécu. »
Du vécu, oui l’art historiquement ne se confine pas uniquement dans les musées, Outings Project met lui en lumière des oeuvres inaperçues, leurs donnant une nouvelle vitrine, la rue. Un concept qui séduit. Londres, Barcelone, Rome, Belo Horizonte au Brésil , Asunción au Paraguay et même Islamabad où ce type d’art n’existe pas, ont vu naitre des portraits sur leurs murs. Les oeuvres de nos prédécesseurs, re-visitées et ré-appropriées en extérieur. L’art de rue a de la ressource. Il en est même altruiste à ciel ouvert.
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