Big apple. Les années s’écoulent, les buildings s’élèvent à une hauteur vertigineuse, sur le trottoir les New-yorkais multicolores nagent en plein délire consumériste. Mais leur ville chic et glam est toujours en vogue. On parle de rayonnement et d’aimant à touristes. On se laisse même aller à quelques raccourcis dithyrambiques, New York symbole du rêve américain même post 11/09, carrefour de cultures où pléthore de communautés cohabitent sans messes basses, une harmonie sans faille, le dancefloor du plein emploi.
« The place to be » peut être mais derrière cet idéal utopique de surface , New-York historiquement compte des districts et quartiers disparates placés sur un pied de non égalité avec de fortes identités . Plus notamment à Harlem et dans le Bronx, où les afro américains sont les gardiens revendicatifs de la rue et ce même au crépuscule d’une ségrégation aux stigmates indélébiles. Les décennies filent et ne se ressemblent pas. De 1950 à nos jours, ces deux quartiers, emblèmes de la diversité culturelle en ont vu de toutes les couleurs. De la descente aux enfers à la renaissance. Mais toujours avec un soucis inconditionnel du style , le rythme dans la peau.
Harlem, 1970.
Big apple, un surnom qui date de Mathusalem ou plutôt des 20s, un sobriquet tout droit sorti de la bouche de garçons d’écurie de la Nouvelle Orleans, repris plus tard et démocratisé par les jazzmen de Harlem, haut lieu du Jazz et des « nuits folles » lors de la prohibition.
Situé au Nord de Manhattan , Harlem symbolise peut être le mieux l’histoire de New-York, une ville noire dans une ville blanche. Martin Luther King et Malcolm X au delà de leurs visions différentes du combat , avaient enfilé la veste de leaders politiques adulés de leur communauté dans un but de libération de l’homme noir. Harlem, désigné alors dans les 50s, centre de lutte pour l’égalité des droits civiques, devient ghetto à l’aube des 60s se recroquevillant alors sur lui même, avec un taux de chômage en flèche et une criminalité en escalade : en 1970, suite à de mauvaises mesures et à la mort coup sur coup de ses deux chefs de fil, le quartier n’est plus que l’ombre de lui même, l’activisme noir est à l’arrêt. La pauvreté atteint son paroxysme, les résidents du centre de Harlem font leur clics et leur claques, fuyant, à la recherche de prospérité, d’écoles digne de ce nom, de rues sures et d’habitats décents, laissant les moins instruits livrés à eux mêmes. Les loyers explosent, une taxe est appliquée en fonction de la couleur de peau, la vétusté domine, la drogue et les gangs sévissent dix fois plus que dans les autres zones de NY, les chauffeurs de taxis blancs sont paniqués à l’idée de s’y rendre ( Taxi Driver, Martin Scorsese), les terrains vagues et immeubles désinfectés se multiplient. Pas moins de 75% des étudiants sont jugés en deçà du niveau requis en lecture..l’alphabétisme guète. Harlem, en ruine, vit la pire période de son existence.
Le photographe Jack Garofalo, un jour de juillet 1970 captura ces moments de vie où ceux qui ont décidé de rester, loin de se morfondre, arborent un regard plein de vie et une sensibilité stylistique au top! Il faudra les 90s pour que Harlem s’extirpe de cette image de zone de la peur et ne reconquisse les investisseurs. Bill Clinton y installera son QG en 2001. Aujourd’hui devenu un centre attractif de NY, Harlem a rénové ses clubs de jazz, les touristes abondent, sa vie nocturne est animée sans débordement de violence. Son histoire en dents de scie, sulfureuse aux tumultes indénombrables, restera gravée.
Le Bronx, 1980
A l’instar de Harlem, Le Bronx à majorité noire voit dans les 70s son confort de vie s’éteindre alors que ses voisins de Manhattan et du Queens vivent un rêve idyllique. Le fossé se creuse, de contestations en émeutes, la scission entre blancs et noirs est notable. Les policiers n’osent plus entrer dans la banlieue Nord après trop de bavures. L’Etat néglige le Bronx. Arrive les 80’s et une métamorphose des revendications sociales, la politique laisse place à la culture engagée. La rue , théâtre de violences extrêmes devient alors un terrain d’expression d’une jeunesse sans repère. Les mots deviennent des armes, l’improvisation devient légion. De jeunes noirs et portoricains branchent illégalement leurs chaines stéréo sur les réverbères de la ville. Des DJ comme Herk ou Afrikan Bammbaata créent un nouvel esthétique aux sonorités empruntés au funk, à la soul et au reggae.. La rue se met à danser de manière acrobatique, les breakdancers émergent, le hip hop est né. Il marquera la fin du XXeme siecle. Le Bronx se coltine encore cette image de cité des gangs sanguinaires et de rues dépouillées , pourtant il est en plein essor économique aujourd’hui portant fièrement l’étendard de la culture hip-hop.
Ricky Flores, enfant du Bronx, alors jeune photographe en herbe en 1980, passait son temps à immortaliser sa vie avec des amis, sa famille et ses voisins de quartier. Il prit alors le contre pied des clichés très négatifs et stigmatisants des journaux de l’époque, avec une succession d’instants vus de l’intérieur, authentiques, transpirants l’art de rue, maquillés de sourires niais sans couteaux sous la gorge. Son message : Le Bronx des 80s, certes dans le déclin, ne se réduit pas qu’à un sentiment de torpeur. Il fut le berceau de créations avant garde . Après tout, 35 ans plus tard, le street art est à son apogée. Le Hip-hop est planétaire et ne s’essouffle pas. Le Bronx peut être fier.