Des eaux aiguisées à faire saigner des doigts de pieds, des immeubles ridés comme mamie, un mercure en ébullition et des « blackouts » nocturnes, la photographe Irina Rozovsky a fait le saut de l’ange dans la culture populaire de La Havane, à Cuba.
Que serait Cuba sans ses cigares et son cha-cha-cha, son rhum et l’Art Déco, ou sans Fidel Castro aux côtés de Che Guevara lors de la révolution cubaine ? Réponse logique d’un « gringo » lambda : Comme un été sans soleil? Paris sans Tour Eiffel, le Brésil sans football ou encore le Japon sans sushis ? En bref, fade en substance mais lavé de tous clichés réducteurs ou glorifiants. C’est d’ailleurs le leitmotiv de la street photographe russo-américaine Irina Rozovsky, celui d’outrepasser les emblèmes culturels des lieux qu’elle visite afin d’établir un regard plus cru et sans artifices, parfois à contre-courant des images idylliques tartinées avec zèle dans les mags de voyage. À La Havane, c’est l’envers d’un décor scintillant et vivide trop souvent vendu qu’elle capture, loin des voitures américaines reluisantes et des rues de cartes postales.
Car même préservée des ravages du modernisme, l’architecture hispano-coloniale de la capitale cubaine semble malgré sa géométrisation cubiste populaire et son large panel de couleurs, être en proie aux difficultés économiques que traverse l’île depuis 1962. En effet, certains quartiers non restaurés apparaissent dans un état de délabrement avancé. Les façades pastels sont inexorablement délavées par le soleil et l’air marin mais n’empêchent pas les résidents pauvres de ces anciens palais de l’aristocratie coloniale de respirer une certaine joie de vivre à défaut d’avoir les moyens de les entretenir.
Dans ses clichés, c’est avec poésie, légèreté ardente et réalisme que Irina Rozovsky se lie avec la culture populaire locale de La Havane dont elle en immortalise les moindre éclats de rire et gouttes de sueurs, le tout sous une chaleur accablante si souvent coupable de nuits à la bougie.
«Je suis arrivé à La Havane en juillet, quand il faisait très chaud et que la mer transpirait. Pour reprendre mon souffle, je me suis appuyée contre les murs fissurés des bâtiments fatigués, la chaleur était impitoyable. Elle a causé des pannes électriques et en l’espace d’un instant les soirées de la ville glissaient dans une noirceur épaisse. Cela ne troublait que les « gringos » (touristes), les locaux, eux, voyaient clair dans l’obscurité. Ils s’abîmaient sur la promenade en descendant des bouteilles de rhum avant de les jeter vides sur les vagues qui s’écrasaient sur les rochers en contrebas. «C’est ce qu’on appelle les dents de chien» m’a dit Bonco – ces morceaux de verre entre les rochers lorsque vous nagez le lendemain matin et qui vous coupe les pieds. Que nenni, les jeunes se jetaient dans l’eau de toute façon, plongeant comme si c’était la dernière fois. »
Pour suivre les aventures sans parti pris d’Irina Rozovsky, direction son site personnel.










































